Bruxelles, le 29 décembre 2000.

Bonjour,

Je vais tenter d’en finir avec notre nostalgie.
Je me suis levé ce midi, j’ai regardé les murs. L’image d’un rabbin en prière confiant des lamentations à la surdité des pierres me fit sourire. Je suis revenu dans la cuisine boire le café, ce jus doux amer, cette clef de la porte de bois qui me couvrait la face après cette nuit éponge. A présent, je suis prêt à me reposer face au vide de ce mur, te remerciant intimemment d’avoir tout quitté, moi y compris.
Scrupuleusement je note ce que je vois le long de cette parois, non plus un humain enfermé dans sa foi, mais un mur dénudé, abandonné par l’objet du culte de la mémoire. Celui-ci aurait-il fuit ? Un regard et sans rejoindre le mur, l’objet retrouve la place que nous lui avions attribuée.
Derrière moi, une ombre passe sur le sol suivant une ligne semblable aux couloirs des hopitaux, des prisons. Je pense : ´ Ne rien voler puisque le maton de la mémoire regarde sans cesse ; passe sans cesse, armé et matraque à la main. Cela je suis enclin à l’oublier ª. La prison réside en ce que personne ne désire l’absence. Ce n’est pas elle qui nous choisit. Qui décide de cette inclinaison indésirable que le respect impose ?
L’objet volé, acquis.
Le mur s’est incliné, l’objet a glissé d’entre mes mains de monte en l’air, avec lui le souvenir de sa présence, derrière, celui de nos corps à corps affichés sur ce mur. Lâche ! Il rompt ce à quoi il était attaché ! Quel danger fuit-il que je n’ai pas vu ? Qu’ai-je à craindre ? Je n’ai rien vu ; j’ai seulement tout perdu, certain de n’avoir jamais rien possédé. Comme deux amis dénudés, se séparent l’un sourd de l’autre aveugle : "sourd fuit, reste aveugle seul sur la plage de l’écran".
Inutile de sortir, de marcher sur le sable. Là aussi, je volerai les ombres incrustées dans ce désert d’eau salée. Je serai absent du monde. Suspendu, Je chercherai des colliers de chiens sans laisse, détachée d’entre les doigts et le cou. La marche continuerait dans les airs, cela ne servirait plus à rien. J’ai marché sur ce sable, les désirs envolés par nul vent dirigeant. Le chien courrait.
Les fils, vois-tu, ne pendent que pour nous deux. Et les mains par-dessus, les vois-tu? Non bien sur. Dès à présent c’est tôt! Et pourtant cela se voit, par exemple, à l’objet volé. Un objet basculé par le vent, privé de la masse des secondes minutes heures journées années passées, levé comme une photographie, sêché par une arrestation arbitraire, tout cela tenu par ce fil coupé ; et l’objet cesse d’appartenir.
Non, vraiment pas de plage, les cerf-volants me conduiraient à cette absence, la mimant mal, s’appuyant sur le vent pour nous donner le change de nos suspensions éthérées. Pourtant, Dunkerke ou l’abscence réside dans les salles closes des musées, voyage sédentaire avec le rouleau des vagues ! Pourtant, la Somme, pleine des flux de mer, d’un fleuve se disputant une étendue de sable piétinnée par le poids des conquètes, du sang, des défaites, du sang. La plage porte les mêmes rides qu’un visage vieilli par des rires ! Je suis retourné abandonner le fruit des arbres à larcins. La mémoire se vidait.
J’ai perdu les souvenirs ! Tout d’abord, je les ai prostitués sur le trottoir de l’écran faisant de la nostalgie une mère maquerelle. Commerce sans rapport, les humains ne payent pas pour ce genre de compagnies ; parfois certains, certaines me donnent à boire la nuit toute entière, d’un trait, comme l’amnésie.
Amitiés, Xavier

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