Bonjour,
en
s'appuyant sur le dernier livre de Paul Ricoeur, "La mémoire,
l'histoire, l'oubli", dans lequel il avance le concept de "juste
mémoire" - qui se situerait à la jonction entre l'étouffement
progressif d'une mémoire omniprésente, et le bain de jouvence
de l'oubli- on pourrait décréter un devoir d'imagination.
Pour tout
dire, c'est le sujet sur lequel je travaille actuellement. Cette nécessaire
sortie, à un moment nécessaire, de l'obsession de la mémoire.
Paul Ricoeur,
lui, l'entend d'une autre oreille - disons plus historique, et il s'insurge
contre la maladie de la commémoration qui nous a pris depuis
quelques années (disons depuis les années 80)...
Mais on peut
très bien récupérer son travail pour l'appliquer
à notre propre expérience.
De la même
façon, je me souviens, sans pouvoir en citer le nom, d'un écrivain
et neurologue russe, qui traitait deux cas en parallèle.
L'un des ses
patients était atteint d'hypermnésie, et tout lui était
motif à association, arborescence de la mémoire sans fin.
Il en était devenu fou. Imaginons seulement ce cauchemar où
tout objet vu, tout visage entraperçu, nous conduirait aussitôt,
par un jeu de ressemblance, ou d'opposition, dans un voyage intérieur
incontrôlé.
L'autre patient,
au contraire, avait vu la moitié de son crâne arraché,
et ne se souvenait plus de rien. Lentement, il avait réussi à
se construire une nouvelle identité.
Peut-être,
comme ce second patient, un créateur doit-il se figurer que la
presque totalité de ses souvenirs a disparu irrémédiablement.
Dès lors, il n'a plus que la solution d'imaginer. Il ne peut
plus compter que sur ce réapprentissage, qui lui fera mettre
un nouveau nom sur les choses qu'il voit, qu'il connaît, mais
qu'il ne saurait plus nommer.
Pour survivre,
certainement devons-nous revendiquer notre droit à l'oubli, avant
d'user de notre devoir d'imagination...
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