Bruxelles, le 11 janvier 2001

Bonjour Jean-Louis Blaquier,

Je ne connais pas le Feu libérateur de Pierre Lévy. Je ne l'ai pas lu. Pas plus que je ne connais Théodoulos, ou le musée d'art contemporain de Toulouse d'où parait-il la ville offre à la vue un morceau de peau insaississable ailleurs ? Comprenez que je le regrette, j'aime tant toucher.

Si l'enjeu de ce courrier était de faire naître le désir d'une absence, je le sais réussi. Alors que nous craignons la rencontre de nos craintes, dans la couveuse sous ces tubes creux, c'est Toulouse enfant qui dort sans cette énergie que l'enfant donne avec richesse, sans crainte de perdre.

La ville rêve d'images de synthèse théatre d'utopies monde universel. Par le mouvement des images lors du sommeil paradoxal le nouveau-né traverse l'espace inviolable, connu de lui seul; sans qu'il ne bouge, accroché à l'hameçon du baxter. Amorcer à travers ces tubes la volonté de le voir vivre. Heureux enfant désiré ?

Né dans une ville, l'enfant. Là où la ville quitte l'humain. Á ce point de rencontre d'une gare, là où "l'architecture conforte les données et détermine l'attitude". L'enfant barre la ville.

Lui avec nous comportons une multitude de vies, malgrés les prisons tissées par Récompenses et Punitions, "filles de l'église!" (il y en a dans toutes les villes abboye le chien).

Nous avec lui sommes nourris aux jus des normes, sucées à la messe radio télévision internet, encadré par le carré d'une lumière carcérale, glissant vers le sens de l'oubli de nos cinq sens.

Même dans les modes de création d'enfermement, la ville technologie ne possède rien que ce que nous laissons à reposer en mémoire. Rien, zéro kilobyte. Les structures finies nous présentent le cadre limité du déplacement de nos vies, dès l'enfance, la sienne, la nôtre.

Mais qui pensent cela avant nous, lui ? Simple humain.

Le trajet qui mène à l'école est jalonné de passages cloutés, de surveillances, de la part de l'oeil de la main du doigt. Un idéal fasciste présent au quotidien, celui de la sécurité, loge sur le front bas d'un humain qui nous surveille et nous protège "y compris de nous-même", et pourtant il ne s'agit que du kapot d'un camp de travail pour enfants.

S'il ne naissait pas dans ces corps des espaces secrets pour les savoirs. Présents à l'école de ces savoirs parce qu'incrustés dans les yeux désobéissants. Si cela n'existait pas, nous serions sans doute pris dans une dynamique jugulée par la torture lente de l'esclavagisme. Mais n'est-ce pas cela que nous vivons maintenant ? Les yeux crevés par l'écran, une infinité de regards meurt ?

Qu'une cours d'école soit en une journée le désert d'un touareg assoiffé de solitude un champ de bataille l'espace clos de jeux érotiques le carré de nos luttes le cercle de nos paix, procure plus de plaisirs que toutes combinaisons mécaniques de savoirs. Des humains naissent des langues aussi difficiles à contenir que la Garonne, me semble-t-il ? Mais là où j'avance coule un fleuve prisonnier des berges, je suppose ?

Je ne sais si j'ai répondu à votre lettre. Pourtant je vous assure avoir écrit celle-ci pour vous.

Amitiés, Xavier

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