Bonjour Lilizia,

Aurélie,

Merci pour ce souhait qui aujourd'hui fait défaut. la lumière jaune de cette mi-journée parle des soubresauts d'un hiver pénible de vivre sous la porte blindée d'un ciel du nord. Sortirais-je seulemnt un pied de dessous la couette ? Je le tente par un petit jeu du matin: la première parole sera dite pour honorer le language. Pas de chance. Xipé le chien m'a laissé au pied du lit la trace de son impatience à sortir hors de l'appartement. J'ai entamé ce lever par un "putain de bordel... de merde", nom de l'objet que je hurle afin de dédramatiser ce sur quoi je glisse. Voilà le language honoré d'une fonction qui lui convient, non ?

Le plus étrange est ce manque de mémoire que je ne connaissais pas avant ta lettre. Plus aucune trace dans le moindre plis du corps de notre rencontre. Fausse, fabuleuse impression d'être lisse. La chaire repassée par le fer de l'oubli sur la table de la mémoire où je prends un café. Doux amer. Oui, par la fenêtre le ciel ne cesse de changer, laissant entrevoir des éclats de ciel bleu sans bleu, entre les rochers de grêles, les montagnes de nuages qui crêvent de neige. Je ne te vois pas. Où te caches-tu ? Poses tes mains sur ma chaire, est-ce ce souvenir là que tu attendais ? Ce miroir solaire brisé que nous n'atteignons que par fragments comme deux sucres fondent dans le café.

Suis-je la personne à qui tu destines ce courrier ? A moins que l'erreur glisse entre les deux fenêtres de l'écran d'où le courrier part ? Est-ce un changement de destinataire en dernière minute ? Qu'importe! Quel joie d'être ce matin un autre au moins pour quelqu'un, de se savoir vivant sous les doigts de quelqu'un, même si pour ici assis à cette table, je sais que nul pianiste joue sur nul piano. Alors le lointain prend corps, la chaire touche l'horizon en se liant à sa matière, là-bas. Même si je ferme un oeil, le regard planté au bout du doigt qui pointe, je ne te touche pas.

Le nom de la ville où nous nous sommes connus coule de la bouche avant que je ne le prononce. Je ris de baver, de comprendre que le language a pris sur mes injures du matin une vengeance, celle de m'interdire l'articulation des termes, de m'enjoindre par une privation de mouvement: la machoire lache, de ne plus parler. De ne plus atteindre le souvenir de notre histoire que je te remercie de m'avoir écrite.

Reviens-tu demain matin ?
xavier
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